L'article à lire pour comprendre la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis
"Les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner", affirmait Donald Trump en mars 2018. Parce qu'il ne faut pas toujours croire le président américain sur parole, franceinfo vous explique ce qu'il se passe vraiment entre les deux mastodontes.
"Il va de soi que nous n'avons pas connu de semaines aussi décisives pour le commerce mondial depuis les années 1930." Mardi 5 août, le monde se divise en deux catégories : ceux qui paniquent à la lecture de cette phrase, glissée dans un éditorial du quotidien britannique The Guardian, et ceux qui n'ont rien compris à la guerre commerciale qui oppose les deux premières économies mondiales. En l'espace de quelques jours, les Etats-Unis ont annoncé de nouveaux droits de douane sur les importations chinoises, la Chine a laissé chuter sa devise vis-à-vis du dollar et les marchés financiers se sont jetés par la fenêtre. Or, si le monde vit un moment crucial de son histoire économique, difficile de s'y retrouver pour quiconque ne possède pas la bosse de l'éco !
Comment le battement d'une aile de portefeuille à Wenzhou est susceptible de provoquer une tempête sur Wall Street ? Pourquoi l'envol d'un tweet de la Maison Blanche fait-il planer la menace d'une récession sur l'Union européenne ou présage d'une remise à plat de l'économie mondiale ? Franceinfo explique cette guerre froide économique aux non-initiés.
Pourquoi Donald Trump en veut-il à la Chine ?
"China, China, China". Donald Trump n'a pas attendu d'être président des Etats-Unis pour s'en prendre à l'empire du Milieu. Pendant la campagne de 2016, il accusait Pékin "de violer les Etats-Unis" et d'être le "plus grand voleur de l'histoire du monde." Devenue en 2009 le premier exportateur de la planète, avant de ravir aux Etats-Unis son titre de première économie mondiale en 2014, la Chine se dresse entre Donald Trump et son désormais célèbre "Make America great again" ("Rendre sa grandeur à l'Amérique").
Panneaux solaires, iPhone, soja, viande de porc, jouets, vêtements, pianos, pneus, rouge à lèvres... Des conteneurs chargés de biens en tous genres circulent sans interruption entre les deux pays. Or, le milliardaire ne cesse de répéter que cette relation est asymétrique. En commerçant avec la Chine, les Etats-Unis "perdent de l'argent", martèle-t-il.
Son calcul est le suivant : la Chine a exporté pour 558 milliards de dollars de biens vers les Etats-Unis en 2018. De leur côté, les Etats-Unis n'ont exporté "que" 178 milliards de dollars de biens en direction des consommateurs chinois. Ces 380 milliards de dollars de différence constituent ce qu'on appelle, dans le jargon, "la balance commerciale". Et puisqu'elle est déficitaire coté américain, Trump estime que les Chinois ne la jouent pas "réglo". Ainsi, il s'est donné pour mission de rétablir cet équilibre... Et de faire la leçon à Pékin.
Et il a raison ou il exagère ?
Disons que, si la Chine a rejoint en 2001 l'Organisation mondiale du commerce (OMC), elle y défend une conception très personnelle de l'économie de marché, héritée de son passé communiste. L'Etat chinois est fréquemment accusé (y compris par l'UE) de subventionner massivement les entreprises chinoises en leur accordant ses marchés publics. Plus généralement, ses partenaires commerciaux lui reprochent de s'asseoir sur les règles du commerce international, en ayant recours par exemple au dumping – une pratique consistant à vendre un bien moins cher à l'étranger afin de gagner des parts de marché. Pour toutes ces raisons, les Etats-Unis ont déposé trente-quatre plaintes contre la Chine devant l'OMC (l'UE en a déposé huit) depuis 2001, relevaient Les Echos il y a près d'un an et demi.
D'un point de vue stratégique, la Chine tire parti de son atout numéro un : son milliard de consommateurs. Une entreprise étrangère veut s'installer en Chine et percer ce marché démesuré ? Très bien, répond Pékin, à condition que le nouvel arrivant fasse cadeau de sa technologie à la Chine. Toujours plus puissant, le pays rachète aussi des entreprises étrangères afin de s'imposer dans des secteurs-clés : fin 2017, Donald Trump a bloqué le rachat par un fonds d'investissement appuyé par un groupe étatique chinois de la firme électronique américaine Lattice, dont les produits promettent d'éventuelles applications militaires. Ils avaient mis 1,3 milliard de dollars sur la table.
Après avoir été, dans les années 1990, l'"atelier du monde", la Chine mise sur ses brevets et ses nouvelles connaissances pour moderniser son industrie, dans le cadre du plan "Made in China 2025". "Dans la saga de la rivalité sino-américaine, 'Made in China 2025' est sur le point de devenir le grand méchant, la vraie menace existentielle pesant sur la domination technologique des Etats-Unis, prévient Lorand Laskai, spécialiste de l'Asie pour le Council of Foreign Relations. Les intentions de la Chine ne sont pas de rejoindre le rang des économies high-tech (...) mais de toutes les remplacer." Pour Trump, l'enjeu de ce bras de fer est colossal. D'où un plan d'attaque à la Chuck Norris : "On va les taxer jusqu'à ce qu'ils se comportent correctement."
Concrètement, ça ressemble à quoi une guerre commerciale ?
Une guerre commerciale, "c'est comme au ping pong, sauf que les balles sont des dollars et que les raquettes sont des dossiers", pour citer les stratèges de la Cogip. Ici, la Chine et les Etats-Unis s'envoient des droits de douane à la figure. Dès le mois de mars 2018, le président américain a utilisé ce levier contre la Chine en annonçant une taxe à hauteur de 25% sur les importations d'acier et de 10% sur l'aluminium. Pourquoi ça fait mal ? Parce que l'empire du Milieu est le plus gros exportateur d'acier au monde. Dans la foulée, Trump ajoute que 1 300 produits chinois seront taxés.
En représailles, Pékin dévoile une liste de 128 produits américains taxés en retour. Huit d'entre eux à hauteur de 25% (l'aluminium de récupération, les produits à base de porc...), tandis que le vin américain, les pommes, les baies ou encore les amandes prennent 15% dans la vue. Et ce n'est que le début. Taxes. Contre-taxes. Taxes. Contre-taxes... Fin août, Washington impose des droits de douane majorés de 25% sur un total de plus de 250 milliards de dollars de biens chinois importés. La Chine, elle, surtaxe plus de 5 400 produits américains (dont les balles de ping pong et les raquettes de badminton), à hauteur de 110 milliards de dollars.
Quand le pays de l'Oncle Sam annonce que les importations chinoises jusque-là épargnées seront à leur tour taxées à hauteur de 10% à partir du 1er septembre, Pékin monte au filet et décide tout simplement de ne plus importer (au moins provisoirement) de produits agricoles américain. Le manque à gagner est immense pour les Etats-Unis. Entre le 19 juillet et le 2 août, la Chine leur a acheté 130 000 tonnes de soja, 120 000 tonnes de sorgho, 60 000 tonnes de blé, 40 000 tonnes de porc et 25 000 tonnes de coton, liste Les Echos.
Comment transforme-t-on des taxes en arme de guerre ?
"Les droits de douane sont géniaux ! Soit nos partenaires commerciaux négocient des accords équitables avec nous, soit on les attaque à coups de droits de douane. C'est aussi simple que ça", tweetait le président américain en juillet 2018. Le problème, c'est qu'en économie, rien n'est "aussi simple que ça".
Quand des marchandises voyagent d'un pays à un autre, elles sont soumises à une taxe, dont le montant est fixé par les différents pays dans le cadre d'accords commerciaux. Mais c'est l'importateur, et non l'exportateur, qui paye ces droits de douane. Si vous êtes un fabriquant de tee-shirts américain et que vous avez besoin d'un tissu chinois, soit vous payez plus cher ce tissu, en sachant que le supplément de taxe tombe dans les caisses de l'Etat américain, soit vous cherchez un autre fournisseur, de préférence un compatriote. L'objectif est de dissuader les Américains d'acheter chinois en rendant le "made in USA" artificiellement plus compétitif. Selon la logique de Donald Trump, les entreprises chinoises devraient également absorber une partie des coûts liés à la hausse de ces droits de douane, afin de préserver le marché américain.
Or, cela ne suffit pas à rétablir la balance commerciale, car d'autres facteurs entrent en jeu, comme le taux de change. Lundi 5 août, pour esquiver une nouvelle attaque américaine sur ses exportations, Pékin a laissé chuter sa devise au plus bas depuis onze ans (sept yuans pour un dollar, son niveau le plus bas depuis 2008). Résultat : malgré l'augmentation des droits de douane, votre fournisseur de tissu chinois reste donc moins cher que son équivalent en Pennsylvanie.
La Chine peut-elle durablement dévaluer sa monnaie ?
Concrètement, la banque centrale chinoise fixe chaque jour un taux pivot pour le yuan par rapport au dollar. De part et d'autre de ce taux, elle autorise une fluctuation de plus ou moins 2%. Cette petite marge de manœuvre a permis la baisse brutale du yuan enregistrée mardi. Bien sûr, les Etats-Unis ont traité l'Etat chinois de "manipulateur de monnaie", ce dont ce dernier s'est défendu vigoureusement.
Pékin a toutefois toujours étroitement contrôlé le cours de sa monnaie. En maintenant artificiellement un yuan bas pendant des années, le pays a développé rapidement son industrie sans attendre que les Chinois soient en mesure de consommer (merci les exportations). A l'inverse, depuis que Pékin veut que son industrie monte en gamme, il cherche à stabiliser sa monnaie pour attirer (et garder) les investisseurs. Car quand la monnaie est fortement dévaluée, ils sont les premiers à retirer leurs billes de l'économie. C'est ce que l'on appelle "la fuite des capitaux". Du coup, la Chine ne pourra pas jouer longtemps la carte monétaire face aux taxes américaines sans mettre en danger son économie et, par ricochet, celles de ses voisins.
La preuve, dans la foulée de la dépréciation du yuan, les banques centrales d'Inde, de Nouvelle-Zélande et de Thaïlande, sensibles au marché asiatique, ont baissé mercredi leurs taux directeurs, permettant ainsi d'acheter de l'argent moins cher pour favoriser les investissements. Le même jour, la Réserve fédérale américaine (la Fed, l'équivalent d'une Banque centrale) a annoncé la première baisse de ses taux directeurs depuis la crise de 2008. Traditionnellement signe que l'économie va mal, cette mesure a été accueillie avec le sourire par Donald Trump. Le président américain est en effet convaincu qu'une baisse des taux donnera un coup de fouet à l'économie américaine.
Pourquoi cette guerre mine-t-elle aussi l'économie américaine ?
Les entreprises américaines importatrices de biens chinois souffrent. En janvier, une cinquantaine de lobbies industriels américains ont envoyé une lettre à l'administration Trump pour l'exhorter à mettre fin aux tarifs punitifs sur les importations d'acier et d'aluminium qui pèsent sur leurs activités. Les producteurs de porc américain, lesquels exportaient leur viande vers la Chine, ont également perdu au moins un milliard de dollars du fait de cette guerre commerciale. Les exportations américaines de soja ont dégringolé de 77% entre juillet 2018 et mai dernier. Pour soutenir ces fermiers, qui sont au cœur de son électorat, le président américain a promis de leur verser 28 milliards de dollars d'aides.
Et le consommateur dans tout ça ? Pour éviter d'augmenter le prix de vente de leurs biens, certaines entreprises ont rogné sur leurs marges. Mais dans de nombreux secteurs, les clients sont pénalisés. "Nous avons étudié les climatiseurs, les tables à manger en bois, les chauffages d'appoint. Et on s'est aperçus qu'à chaque fois, la hausse des droits de douane se répercutait intégralement sur le consommateur", explique David Weinstein, économiste à l'université Columbia, cité par le média indépendant Pri.org. Selon une étude de l'université de Californie, cette guerre coûterait 69 milliards de dollars par an aux consommateurs américains, soit une moyenne de 213 dollars par personne.
Censée protéger l'industrie américaine et ses emplois, la stratégie de Donald Trump menace par ailleurs l'activité de petits entrepreneurs dépendants d'une matière première chinoise, explique Pri.org. Selon Reuters, cette tactique de la Maison Blanche face à la Chine va permettre la création de 2 000 emplois dans le seul secteur de l'acier. Mais les industries américaines protégées par les droits de douane ne le sont pas indéfiniment. Et pour cause : les entreprises indonésiennes ou vietnamiennes, capables de produire à bas coût, se verraient bien prendre le relais de la Chine.
Est-ce que ça craint pour nous, en Europe ?
Dans ce système mondialisé, la guerre commerciale sino-américaine n'épargne aucune économie. "La diminution des échanges entraîne un ralentissement de l'économie globale, qu'on commence déjà à observer. À terme, tout le monde va en pâtir", avertit Françoise Nicolas, chercheuse de l'Ifri citée par Le Parisien.
Par ailleurs, ce climat de méfiance est très mauvais pour les marchés financiers et donc pour l'économie européenne. Dans l'hypothèse d'un long conflit, "l'Europe serait la grande perdante", peut-on lire dans un éditorial du Monde. "Une lutte sino-américaine pour un dollar et un yuan plus faibles ferait automatiquement grimper l'euro, heurtant ses exportations industrielles, déjà pénalisées par la crise de l'automobile allemande. Il en faudrait peu, alors, pour que le Vieux Continent ne replonge dans la récession", prédit le quotidien. Or, rien ne laisse présager d'une amélioration des relations entre les deux géants, du moins pas tant que Donald Trump occupera le bureau ovale (Xi Jinping, président chinois à vie depuis une modification de la Constitution en 2018, n'est pas sujet à ce genre de contrariété).
Adeptes de la surenchère, les deux dirigeants pourraient potentiellement envoyer l'économie mondiale dans le mur. Pour les observateurs des marchés financiers, la journée du lundi 5 août 2019 partage de nombreux points communs avec celle du 9 août 2007, date qui marqua le coup d'envoi de ce que l'on appellera "la criiiiiiiiiiiiise", soit un tunnel long de près de dix ans, dont certains pays subissent encore les effets.
J'ai eu la flemme de tout lire, vous me faites un résumé ?
Une nouvelle guerre froide, économique cette fois, se joue entre les deux plus grandes puissances économiques mondiales : la Chine et les Etats-Unis. Les seconds reprochent à la première des pratiques commerciales déloyales et veulent réinstaurer des échanges commerciaux qui lui soient plus favorables. Washington accuse également Pékin d'espionner et de piller ses entreprises innovantes dans le but de les écraser dans quelques années en investissant le secteur des nouvelles technologies.
Pour booster des secteurs-clés de l'économie américaine, Donald Trump a décidé de taxer les importations chinoises. Mais les taxes imposées par Washington pénalisent les entreprises et les consommateurs américains, lesquels consomment en fait énormément de produits "made in China".
Bien sûr, la Chine souffre aussi de ces mesures. Après avoir taxé des milliers de produits américains en représailles, Pékin a créé la surprise en sortant l'arme monétaire. Ce coup de poker très risqué consiste à laisser sa monnaie perdre de sa valeur pour relancer les exportations et ainsi annuler les effets des taxes imposées par Donald Trump. En plus de mettre de l'huile sur le feu, cette extension de la guerre commerciale au domaine financier a brièvement fait paniquer les marchés, qui craignent de plus en plus que la bataille entre les deux superpuissances ne fasse de l'Union européenne ou des pays émergents des victimes collatérales.
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